Les compétitions sportives sont des hommages à l’hyper performance. Au sein de nos entreprises, les athlètes sportifs servent de modèles pour inspirer les équipes dirigeantes, appliquant les techniques et recettes de la performance sportive pour façonner des athlètes d’entreprise : objectif, performance, efficacité, efficience, optimisation sont les maître-mots.
Mais à quel coût ? Nos organisations, à l’instar de ces athlètes dont l’hyper-performance est éphémère, ne peuvent être continuellement mises sous tension, rester à l’optimum sans s’épuiser sur le temps long. Cette performance, souvent obtenue au détriment d’un épuisement rapide des ressources physiques et mentales, devient une cause majeure de mal-être.
Pourquoi un modèle basé sur la performance, l’optimisation et la compétition serait-il préférable à un modèle basé sur la coopération, la vulnérabilité et l’adaptabilité ? Nous avons besoin de flou, de réserve pour construire notre adaptabilité, pour explorer, pour régénérer les ressources. Osons explorer l’idée de l’entreprise imparfaite, celle qui humblement promeut l’apprentissage et l’adaptabilité au-delà de la performance épuisante, celle qui est créatrice de valeur sans épuiser ses ressources.
L’idéalisme de l’entreprise parfaite
En fin d’année, la plupart d’entre nous se disent et se sentent épuisés. Une fois le bilan de l’année établi et les batteries rechargées, la page se tourne : début d’année rime avec bonnes résolutions et nouveaux objectifs. Des objectifs souvent centrés sur la performance et l’efficience : faire plus, optimiser les rendements, accroître la performance, être plus rapide, accélérer la cadence, commettre moins d’erreurs.
Quand nous réalisons nos objectifs, une dose de dopamine vient nous rebooster et nous repartons de plus belle. Cette quête incessante de productivité et d’optimum, combinée à la méritocratie, a conduit au culte de la performance individuelle qui nourrit la compétition. Le travailleur parfait est mis en concurrence pour décupler ses mérites productifs individuels, se dépasser et surpasser les autres. Être meilleur que …, se démarquer de…
L’entreprise ambitionne de se rapprocher de la perfection dans un monde en changement. Soumise aux vents et marées, ce système hyper-optimisé se grippe rapidement car les flux sont tendus et les délais serrés. Les ressources humaines de l’entreprise qui fonctionnent à leur optimum, sous-pression pour réaliser ce qu’on attend d’elles malgré les externalités, se concentrent sur leurs objectifs, réduisent leur champs d’exploration, prennent les décisions pour maintenir la performance à court terme. Nos entreprises se paralysent et encouragent la chasse aux coupables, ces travailleurs imparfaits qui mettent en péril la réalisation des objectifs de performance.
En promouvant des normes d’excellence et d’exigence individuelle, l’entreprise parfaite est dessinée pour des travailleurs parfaits, ces ressources humaines augmentées, sans faille, lisses et impeccables, des cyborgs incroyablement efficaces, hyper-performants, non biaisés, sans émotion et jamais épuisés. Un idéal ?
Ne pas fonctionner à l’optimum de la performance, un message audible ?
A la différence de l’entreprise parfaite, l’entreprise imparfaite apparait lente, indulgente voire bonasse avec ses travailleurs, peu rigoureuse, laxiste. Elle ne promeut pas l’excellence, manque d’objectivité. Elle se permet même de changer les règles du jeu en cours de route. Quand tout va bien, elle fonctionne à 70% de son optimum. Bulletin ? Mention : « pourrait faire mieux ».
Tous ces défauts peuvent également se regarder sous un autre angle. Lente, l’entreprise imparfaite embrasse le temps long, les évolutions prennent ancrage dans la culture de l’entreprise. Sous-optimale, elle choisit de ne pas tout concentrer dans des objectifs. Car qui dit objectif dit que l’on risque de louper le reste. Elle proscrit les objectifs qui s’inscrivent dans la compétition et alimentent l’individualisme pour renouer avec le sens du projet collectif, la contribution de chacun à ce collectif, les appuis mutuels. Elle se permet de sortir de l’évaluation mécanique des indicateurs quantitatifs, infaillibles et figés pour faire la part belle à l’intelligence humaine et à la réflexion dans l’évaluation des progrès collectifs. Elle s’offre des moments de recul pour prendre de la hauteur, intégrer les externalités, analyser son développement, mesurer ses progrès. Elle promeut une culture de curiosité, de remise en question. Elle est constituée de personnes changeantes, instables et hésitantes et autorise la performance fluctuante car elle tient compte des externalités qui touchent la personne, l’équipe, le projet.
Ses imperfections et ses hésitations lui permettent d’évoluer, gardant le CAP et la raison d’être comme boussole.
Générer une énergie mentale durable
Changer ce paradigme de la performance implique un autre regard sur le travail et la raison d’être de nos entreprises. La valeur travail ne réside plus dans l’emploi individuel ni dans la rentabilité de l’actionnaire, quel qu’en soit le coût d’épuisement pour le travailleur et pour l’environnement. Elle retrouve son sens dans le projet collectif, elle prend soin de ses ressources pour développer son projet, économique, collectif, social ou environnemental, elle crée une valeur durable, sans se mettre en compétition.
L’être humain possède cette capacité unique de régénérer son énergie mentale lorsqu’il évolue dans un climat propice. Qu’est ce qui nous empêche de construire ces entreprises imparfaites, mieux adaptées à notre imperfection qu’à la perfection illusoire ?