Dans une société à la pyramide démographique inversée, d’accélération technologique et où les jeunes générations (et plus) modifient en profondeur leur relation au travail, la pénurie et l’obsolescence des talents est pour beaucoup d’entreprises une préoccupation majeure. Mal armées, ces dernières se sont accaparées à la vitesse de l’éclair de la notion de guerre des talents pour mieux protéger leur territoire.
Et si nous changions de stratégie ? La mutualisation des ressources et l’économie de partage se révèlent être de véritables stratégies pour construire une économie résiliente, progressiste et créatrice de valeur pour l’ensemble des parties. Alors, pourquoi les départements des Ressources Humaines continuent-ils majoritairement à se concentrer sur la propriété du talent plutôt que sur son accès et sa mutualisation ?
la guerre des talents, un récit du 20ième siècle
Il y a pénurie de talents et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour être concurrentiel et se développer, l’accès aux compétences, devenues rares et rapidement obsolètes, devient un défi majeur pour la réalisation du projet de l’entreprise. Les entreprises développent dès lors des stratégies de séduction, de loyauté et de développement des compétences internes, LEURS ressources.
Concept développé par McKinsey en 1997, la notion de guerre des talents véhicule une idéologie de compétition et de propriété du talent, en parfaite adéquation avec le récit de 20ième siècle, dans un contexte d’économie concurrentielle, de croissance infinie et de possession des ressources. Les Ressources Humaines, c’est-à-dire les employés, sont au service de l’employeur et liées à celui-ci par un lien de subordination, incarné par le contrat de travail.
Mais force est de constater que l’entreprise possède de moins en moins SES talents. La quête de l’optimisation au sein de chaque organisation, et encore parfois au sein de chaque département ou équipe ne mène qu’à la sous-utilisation des talents et ne répond pas au problème global de pénurie.
La guerre des talents, en érigeant des barricades, des prisons dorées et à coup de séduction pour conserver SES talents ne correspond plus aux aspirations de ces talents, en recherche d’ouverture et d’un projet de vie qui ait du sens.
L’économie de partage
Concept ancien ayant donné naissance aux communs et aux collectivités, véritable Phénix renaissant de ses cendres, l’économie de partage ou économie collaborative retrouve un nouvel élan en chamboulant les paradigmes économiques. Bienvenue au 21ième siècle ! Au travers de la mutualisation et de la mise à disposition ouverte des ressources, l’Open source, les plateformes de partage des connaissances et d’autres initiatives de mise en commun deviennent de véritables stratégies.
Ce n’est plus la possession de la ressource qui crée de la valeur mais l’utilisation que l’on fait de celle-ci.
En valorisant la mise à disposition et la mutualisation des ressources, cette économie de partage s’inscrit dans une organisation en réseau ou en communautés. La confiance, l’égalité des statuts, la coopération, les motivations non marchandes et l’usage responsable des ressources y sont considérés comme des valeurs essentielles, créatrices de valeur dans un monde aux ressources limitées. Elle véhicule l’idéologie du bien commun en privilégiant un mieux pour tous plutôt que la propriété et la concurrence. Le tout aidé par les évolutions technologiques facilitant la mise en relations et le partage.
Le contrat ne fait pas le talent
La notion de partage des ressources prend tout son sens lorsque celles-ci se raréfient car la mise à disposition ouverte permet une optimisation globale de leur utilisation. Certaines entreprises l’ont bien compris. Au plus la compétence recherchée est rare, au plus elles adoptent volontairement des approches nouvelles en se tournant vers le freelancing (ou autres formes alternatives). Et pour nombre d’entre elles, ces ressources sont essentielles à leur évolution et contribuent significativement à leurs stratégies.
Les nouveaux travailleurs, les freelances, en recherche de création de valeur, d’équilibre vie privée / vie professionnelle et de valorisation de leurs talents ont saisi cette opportunité. Maîtres incontestés de leur propre développement, ils investissent dans leurs compétences et mettent leurs talents à disposition des entreprises de manière fluide. Ce n’est pas le contrat de travail qui les lie, c’est leur gestion financière, leur liberté, leur autonomie, leur envie de contribuer.
Bercées par la conviction que le CDI est synonyme de loyauté, les entreprises restent frileuses dans l’adoption de stratégies de diversification des ressources. Poussées dans le dos, elles évoluent lentement vers une ouverture accrue à différentes formes de contrat de travail. Mais le phénomène de porosité prend de l’ampleur, il s’agit une tendance de fond.
Le talent prime sur le contrat !
Au cœur de la mission des départements des Ressources Humaines
Si le talent externe est plus ou moins reconnu, valorisé et intégré au sein des équipes, le point est plus compliqué au niveau de l’entreprise. Jadis considérés comme de la sous-traitance, ces travailleurs ont longtemps été gérés comme des achats et restent ignorés, voire invisibles des départements des Ressources Humaines, ou tout au mieux considérés comme des sous-employés.
Désormais, si l’entreprise veut se démarquer et engager ces talents dans leur projet, elle se doit d’adopter des stratégies où chaque talent est valorisé pour sa valeur, et non en fonction de son contrat de travail.
La gestion inclusive de l’ensemble des talents de l’entreprise est au cœur de la gestion innovante des RH.
Considérer l’importance stratégique de l’ensemble des richesses humaines de l’entreprise, mettre l’accès au talent au centre de la réflexion plutôt que sa possession n’est pas un ajustement à la marge : c’est une révolution culturelle, passant d’une relation unilatérale, paternaliste, figée et centrée sur l’entreprise vers une relation bilatérale, dynamique, de responsabilité partagée et en réseau, ouverte sur le monde. Dont le défi est l’engagement collectif autour du projet commun. Ceci remet fondamentalement en question l’ensemble des processus et politiques de la gestion des Ressources Humaines. Un basculement qui fait exploser les frontières de l’entreprise.
Repenser la gestion du travail au-delà de l’entreprise
Mutualiser les talents au-delà des frontières de l’entreprise, et ceci quel que soit le type de contrat, permet de brasser une diversité et une richesse considérable, au bénéfice de tous. Au travers du coworking ou autre corpoworking, nous voyons émerger des lieux de travail interentreprises, pour favoriser la cross-fertilisation, l’innovation et l’enrichissement.
Certaines entreprises, sur la pointe des pieds, expérimentent la mobilité interentreprises.
Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pour répondre aux attentes de l’ensemble des parties prenantes dans une économie résiliente du 21ième siècle, nous devons réinventer la gestion du travail : mettre en place un système qui favorise la sécurité, la fluidité et le développement de l’ensemble des travailleurs pour accéder de manière flexible aux missions et projets en fonction de leurs besoins et de leurs compétences. Un environnement au sein duquel les entreprises, au gré de leurs défis et de leurs projets ont librement accès aux compétences. Un environnement au sein duquel les talents disposent d’une certaine sécurité, peuvent s’épanouir et mettent librement leurs talents à disposition des projets des entreprises. Entre les deux parties, une relation de partenariat équilibrée, respectueuse, ouverte, un trajet commun.
Le défi des départements des Ressources HUmaines sera alors de développer de manière fluide des communautés soudées de compétences participant à un projet partagé.