Exploration en Datagonie

Le décryptage de nos comportements par nos outils, basé sur l'intelligence artificielle

Réflexions issues d’une table immersive réunissant professionnels des données et RH.

Expérience du collaborateur, employer branding, rétention et loyauté, attractivité, Employee Net Promotor Score … Les Ressources Humaines s’approprient peu à peu le langage et les techniques du marketing. L’exploitation des données relatives aux comportements des clients et l’intelligence artificielle ont révolutionné le marketing. Au sein de l’entreprise, l’exploitation des données relatives aux comportements des collaborateurs va-t-elle également impacter fondamentalement la manière d’adresser leurs besoins ? Avec quelles intentions ?

 

RH, un métier de marketer

Le métier du marketing a formidablement gagné en puissance ces 15 dernières années. Les sciences des données, l’anticipation des comportements clients et l’analyse de leurs habitudes ont révolutionné le métier du marketing pour en faire un outil personnalisé. Elles continuent d’ailleurs de le faire aujourdh’hui : le marketing engage le client dans une relation émotionnelle, mesure son engagement et influence son comportement.

Dans une relation collaborateur/employeur, aborder la relation d’un angle émotionnel peut paraître tout aussi pertinent qu’en marketing.

La gestion des Ressources Humaines est un métier dont la finalité est proche de celle du marketer : engager et développer le collaborateur dans une relation à long terme. Mais la sphère de la gestion humaine en entreprise est bien plus large et les travers de la manipulation présentent un potentiel revers de la médaille. D’autant que la relation collaborateur/employeur reste malheureusement trop souvent imprégnée d’une notion de pouvoir et de rapport de force.

Un nouveau champ des possibles

Les technologies et champs d’application de l’analyse automatisée des données avancent à vitesse grand V. Aujourd’hui déjà, différentes applications largement répandues dans les entreprises permettent de suivre et de cartographier l’ensemble des comportements, habitudes et interactions au sein de l’entreprise, d’évaluer l’équilibre professionnel et comportemental, de fournir des indications sur le niveau d’engagement et de stress des collaborateurs … Ceci juste en analysant les connexions, le contenu et les destinataires des courriels, les applications professionnelles utilisées et autres informations captées sur les ordinateurs, principal outil de travail de nombreux collaborateurs.

L’analyse de ces masses de données peut dévoiler des informations non explicitées ou non conscientes, ouvrir de nouvelles interprétations. À leur tour, elles nous permettent de factualiser des impressions et émotions et d’aller au-delà de ce que nous pouvons conclure avec le bon sens humain. Ces données peuvent procurer à chaque collaborateur individuel des informations relatives à son comportement et à sa connexion à l’entreprise et avec ses collègues. L’exploitation des données par l’entreprise peut offrir au management des clés pour comprendre les facteurs de performance et d’engagement et entrevoir des pistes pour modifier la culture de tout un groupe au sein de l’entreprise, sans visibilité sur les comportements individuels.

Post-COVID, de nouveaux comportements se généralisent

En phase post-COVID, dans un univers professionnel hybride, nous adoptons peu à peu de nouveaux modes de fonctionnement. Pour certains, le travail hybride accroît l’efficacité, la concentration et le bien-être. Mais qu’en est-il de nos relations au sein de l’organisation, de notre sentiment d’appartenance et de notre créativité ? Nos gains de performance individuelle se traduisent-ils en une performance collective accrue ou se font-ils au détriment de la performance collective ? Privé de notre vie sociale en entreprise, notre gain de bien-être est-il réel ou une illusion de confort égoïste ?

Nous en sommes encore aux balbutiements de ces nouveaux modes de fonctionnement hybride, cherchant à en comprendre les bienfaits et les travers.

Dans ce contexte, l’exploitation des données comportementales prend davantage de sens. Non seulement parce que les modes de fonctionnement se modifient (hybrides, task performance based) mais aussi de par les priorités nouvellement exprimées des collaborateurs. Le bien-être devient en effet une des priorités majeures.

Big brother is watching you

Formidable opportunité que ces outils pour pouvoir tracker les usages au travail et l’emploi du temps des collaborateurs. Dans ce contexte de mode de fonctionnement hybride, la tentation peut être grande pour certains managers de mieux contrôler leurs équipes. Attention, danger !

En contexte de travail hybride, le risque d’instaurer un système de command & control est réel pour les managers démunis par leur perte de contrôle sur leurs équipes.

Ces applicatifs doivent se mettre au service du collaborateur et du collectif et chacun doit adhérer à la finalité poursuivie : une finalité, claire, transparente et bien définie pour l’ensemble des parties prenantes. Légalement, les données ne peuvent être exploitées que dans la poursuite d’un but annoncé et ne peuvent être utilisées à d’autres fins. Au-delà du cadre législatif du RGPD, l’exploitation des données comportementales au sein de l’entreprise doit s’inscrire dans une culture de bienveillance et de confiance, dans le but d’identifier des problèmes et des pistes de solutions. Si les données sont utilisées à l’insu des collaborateurs pour influencer des décisions les concernant, les collaborateurs risquent de se désengager et de considérer l’organisation comme hostile. Il ne s’agit nullement d’utiliser ces données dans une optique d’évaluation individuelle, de reconnaissance ou de punition individuelle ou collective.

« DATA IS POWER », une richesse si le pouvoir réfère à l’intérêt individuel et collectif, une menace si ce pouvoir est utilisé à des fins personnelles, nuisibles pour les collaborateurs ou pour le collectif

L’ensemble des parties prenantes (service juridique, RH, analystes de données, collaborateurs, équipe dirigeante, syndicats…) a sa place dans la construction d’une culture basée sur l’exploitation de ce type de données. Cela nécessite un travail progressif de prise de conscience et d’éducation.Il s’agit de développer graduellement une culture d’entreprise basée sur les données et la manière de les utiliser. C’est au travers du débat et en croisant différentes perspectives que chacun peut progresser dans la compréhension de la création de valeur et des risques inhérents à une telle démarche.

Intelligence rationnelle, émotionnelle et artificielle, quel équilibre ?

Alors que nous pressentons le rôle positif d’une analyse de données comportementales dans une relation bienveillante entre employeur et collaborateurs pour une meilleure performance et un bien-être accru, nous en percevons aussi les potentielles dérives. Notre argumentation pour que les données s’imposent comme une évidence est encore fragile.

Nous avons beau retourner toutes les situations, notre sens humain nous chuchote que notre intelligence émotionnelle devrait être capable de détecter et de suggérer ce que nous dicteront ces algorithmes

Nous sommes dès lors tentés d’adopter une position de repli et de faire confiance à notre intelligence émotionnelle sans non plus en accepter les limitations qui résultent de notre relative maturité.

Quelles actions faudrait-il prendre pour bénéficier des progrès de la science des données dans le domaine des ressources humaines sans créer un système d’aliénation des employés dans un monde gouverné par des algorithmes d’intelligence artificielle dont la finalité et la logique sont parfois floues ?

Convaincu ?

Est-il souhaitable, à l’instar du marketing, de promouvoir l’utilisation des données comportementales en entreprise pour influencer les comportements des collaborateurs ? L’équation création de valeur / risque se doit d’être analysée en détail.

Dans tous les cas, l’évangélisation et les projets pilotes sont nécessaires pour démystifier l’approche et démontrer la finalité de l’exploitation des données. Le pilote s’adresse à une population en besoin, volontaire et avec un problème bien défini.

Au vu des risques d’utilisation abusive ou malsaine, peu de professionnels de la gestion humaine en entreprise font, à ce stade, preuve d’un enthousiasme démesuré pour ces outils. Partiellement par scepticisme sur la création de valeur, partiellement par rapport au danger que l’usage de ces données représente.

Ces nouvelles opportunités remettent l’intelligence émotionnelle et les relations humaines en entreprise au centre du débat.

Les Ressources Humaines ont beaucoup promu l’objectivité et la modélisation des ressources pour gérer les forces vives de nos organisations et contourner les biais de l’intelligence humaine

Au-delà d’introduire des outils d’intelligence artificielle pour modifier nos comportements, nous devons valoriser notre intelligence humaine, trop longtemps niée. Les bénéfices des outils d’analyse de données ne peuvent se matérialiser sans une prise de conscience plus profonde de leur impact sur les individus et les organisations au travers d’un travail de développement personnel humain et collectif.

Prenons le temps de débattre du sujet et de nous sentir vraiment à l’aise pour nous aventurer dans cette voie.

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